Maîtrise de stage |
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Portfolio
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Récit de Situation Complexe et Authentique
le modèle Nantais Par Pierre Le Mauff ***, Nicolas Farthouat *, Lionel Goronflot **, Jacqueline Urion **, Rémy Senand ***
*** Maîtres de
conférences des universités associés,
Département de médecine générale,
Faculté de médecine de Nantes** chargés d'enseignement * interne de médecine générale De nombreux problèmes traités par un professionnel de santé ne figurent pas dans les livres et ne peuvent pas être résolus uniquement à l'aide des savoirs théoriques et procéduraux enseignés. La figure du praticien réflexif, conceptualisée par Schën, réhabilite l'intelligence pratique (savoir-faire et fonctionnements mentaux) face aux situations cliniques complexes. 1 Le concept de « narrative based medicine » développé 2 pour a pratique clinique a permis de cerner les apports de l'étude des récits: - favoriser la compréhension entre le patient et son medecin, - développer l'empathie, - favoriser la construction du raisonnement. Ces constatations avaient déjà été faites dans le champ de la pédagogie. 3 Dans l'approche centrée sur les apprentissages, qui gagne du terrain en pédagogie médicale, 4-6 l'étudiant est le moteur de sa formation et les enseignants doivent favoriser un processus de questionnement à partir de son activité professionnelle (en stages hospitaliers ou ambulatoires) « à partir de tâches complexes, complètes et signifiantes ». 7 Lorsque l'on « vise comme modèle professionnel un praticien généraliste réflexif, capable d'auto-évaluation et d'auto-formation, il est possible d'utiliser comme outil d'enseignement, d'apprentissage et d'évaluation, le portfolio » 4 qui contient toutes les traces de ses apprentissages. Les récits de situations complexes et authentiques (RSCA) utilisent le récit comme outil de formation du médecin réflexif et c'est une trace d'apprentissage obser vable que l'étudiant peut laisser dans son portfolio. UN TRAVAIL DE RÉFLEXION DE L'INTERNE SUR UNE SITUATION QU'IL A VÉCUE ...
Le RSCA n'est pas une « observation clinique» au sens médical du terme; c'est un travail de réflexion de l'interne sur une situation qu'il a personnellement vécue au cours de sa pratique professionnelle, lors d'un stage, hospitalier ou en médecine générale. Chacun des termes dont les ini tiales composent le sigle RSCA est important et nécessite une explicitation. Récit : traduit que le support utilisé est l'écrit. La forme est libre; il peut s'agir d'un récit chronologique, ou struc turé (permettant de suivre la démarche de résolution de problème[s] professionnel[s]) ou encore déstructuré (se focalisant sur les séquences marquantes de la situation). II ne s'agit pas d'être exhaustif mais de décrire le plus finement possible les moments forts ou ceux « à problème» de la situation (incident critique, par exemple). Situation. lI s'agit d'une situation de pratique pro fessionnelle hospitalière ou ambulatoire ayant un caractère exemplaire : - elle appartient au champ de la médecine générale; - elle n'est pas exceptionnelle; - elle illustre une ou plusieurs fonctions du métier de médecin généraliste ; - elle est contextualisée : stage hospitalier (visite, contre visite, garde ... ), stage chez le praticien, SASPAS( consultation ou visite à domicile, avec le maître de stage ou seul). Complexe. Une situation complexe a les caractéristiques suivantes: 4 - les indices n'y sont pas immédiatement disponibles et nécessitent une exploration minutieuse; - elle a un caractère pluridimensionnel : biomédical, psycho-affectif, environnemental, éthique, administratif, médico-légal, etc. ; - plusieurs stratégies de résolution de problème existent, et il n'est pas toujours possible de les hiérarchiser; - la solution n'est pas univoque et plusieurs solutions peuvent avoir une pertinence comparable; - les prises de décision se font en situation d'incertitude. Authentique.
C'est une situation réelle, vécue par l'interne; c'est un
des acteurs de la situation. L'authenticité est donc le
résultat de 2 éléments:
- restituée de la façon la plus vraie par le narrateur: être émotionnellement le plus subjectif possible, tout en étant factuellement le plus objectif possible. ... EN 4 ÉTAPES ...
Le RSCA est un exercice réflexif d'auto-évaluation de
pratique professionnelle et d'auto-formation qui comporte quatre
parties « imposées» :
Le récit. Il doit contenir :
- tous les
indices perçus par l'interne permettant d'analyser le ou les
problèmes: éléments sémiologiques,
éléments biographiques du patient (histoire,
environnement familial, social, culturel) qui ont du sens;
-le reflet cognitif et émotionnel chez l'interne des informations recueillies; -les interactions relationnelles entre le patient, l'interne et l'environnement (facilitatrices ou bloquantes) ; -les stratégies de résolution de problème; -les éléments du respect de l'autonomie du patient, du consentement éclairé, de la décision partagée; - tous les éléments de la (des) décision(s) prisees). Le récit est sans interprétation a posteriori ni correction ni omission volontaire. L'exposé est descriptif et s'attache aux faits mais aussi au ressenti de celui qui écrit: ce qu'il a perçu, analysé, fait et dit mais aussi ce qu'il n'a pas analysé, ni fait ni dit. Le récit descriptif doit rendre compte très précisément de ce qui s'est passé, du point de vue de l'interne, pour que le maître d'apprentissage (pour faire son travail pédagogique) puisse se mettre « dans la peau» de l'interne. L'analyse. Une fois la narration faite, l'interne analyse le contenu de la situation. Ce travail réflexif « à froid» (à distance de l'action) doit: - expliciter le comment (il s'y est pris, il a analysé, il a décidé, il a échangé ... ) ; - argumenter le pourquoi (il a fait ça, ou pas fait, dit ou pas dit, perçu ou pas perçu ... ). Ce travail permet de décrire les compétences développées en situation professionnelle à un moment donné, dans un contexte donné, mais aussi les manques ou les imperfections et de rendre compte des processus cognitifs mis en jeu. Les tâches d'apprentissage induites. De l'auto-éva luation doit naître une auto-formation, l'interne ayant pointé des manques ou des erreurs, il se fixe des tâches d'apprentissage pour les améliorer ou les corriger: recherche documentaire, avis de personne( s) ressource( s), échanges entre pairs, formation, travail personnel, .. Ces tâches d'apprentissage doivent être décrites et analy sées, pour que le( s) maître ( s) d'apprentissage puisse(nt) en évaluer la pertinence. La synthèse. Elle reprend les points essentiels de l'auto-évaluation et de l'auto-formation réalisées par l'interne et leur impact en termes de modifications des connaissances antérieures (déclaratives ou théoriques et d'action ou pratiques).
... POUR AMÉLIORER SES COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES ...
L'objectif pédagogique du RSCA est d'améliorer les
compétences professionnelles de l'interne. Pour cela, le RSCA a
deux fonctionnalités:
Pratique réflexive. L'interne « met en mots» son action au cours d'une situation professionnelle authentique. Ce faisant, il réfléchit à ce qu'il a fait et à la façon dont il a procédé: comment et pourquoi? De cette analyse réflexive naît un questionnement; celui -ci déclenche un renforcement ou une remise en cause des connaissances antérieures, une recherche de nouvelles connaissances qui viendront enrichir voire modifier les premières. Rétroaction pédagogique. La mise en forme par l'écriture permet aux maîtres d'apprentissage (praticiens hospitaliers pendant les stages hospitaliers, maîtres de stage chez le praticien, tuteurs, enseignants) d' apprécier le plus exactement possible ce qui s'est passé dans cette situation professionnelle mais avec les « lunettes» de l'interne. Le maître d'apprentissage intervient après le travail de l'interne avec ses « lunettes» d' enseignant pour valider ce qui est pertinent et proposer des pistes de réflexion, si nécessaire, en faisant prendre conscience à l'interne des améliorations possibles; c'est la rétroaction pédagogique. Une trace de celle-ci doit figurer dans le portfolio. Liberté est laissée à chaque maître d'apprentissage: - soit de faire une rétroaction pédagogique écrite détaillée à insérer dans le portfolio; - soit de faire une rétroaction pédagogique orale détaillée et de faire un compte rendu synthétique à insérer dans le portfolio.
... AVEC UNE RÉTROACTION PÉDAGOGIQUE ...
Dans l'évaluation formative, le recueil de données permet à l'enseignant d'apprécier les connaissances déclaratives, conditionnelles et d'action de l'apprenant à un moment donné et dans un contexte donné afin de permettre à l'apprenant de les améliorer. Pour ce faire, l'enseignant doit fournir en retour à l'apprenant une information de ce qu'il a analysé. Cette action pédagogique est dénommée feedbackpar les Anglo-Saxons 8 et « rétro action» par les francophones. Elle peut être « naturelle» ou « intentionnelle» : « naturelle» lorsque la rétroaction est la conséquence logique ou accidentelle d'une action; « intentionnelle» quand elle est conçue spécifiquement pour informer quelqu'un de la qualité ou de l'exactitude d'une action (caractéristique du contexte d'enseigne ment ou de formation). 9 Régulation, ajustement, amélioration des apprentissages. Historiquement, « la perspective qui a dominé la méthodologie de l'évaluation formative a été principalement la régulation par enseignement correctif »; 10 actuellement, la rétroaction pédagogique est un moyen d'informer chaque apprenant des qualités et des défauts de sa production ou des difficultés éprouvées lors de sa démarche pour lui permettre de réaliser des ajustements propres à améliorer sa pratique (elle se pose en substitution d'un enseignement correctif). Rétroaction immédiate. Des travaux 11 ont montré la supériorité de la rétroaction immédiate par rapport à la rétroaction différée, ce qui intéresse l'évaluation formative. Qualité. Il a été démontré que la qualité de la rétroaction (critériée plutôt que normative, analytique plutôt que globale) a été associée a des résultats positifs plus constants que l'augmentation de la fréquence des évaluations : 12 la qualité l'emporte sur la quantité.
... ET UNE ÉVALUATION QUALITATIVE MAIS CRITÉRIÉE -
Les RSCA réalisés spontanément par les internes ou à la demande d'un maître d'apprentissage, peuvent être évalués par: - des enseignants formés à cette technique; - des binômes d'enseignants (enseignant formé - maître d'apprentissage non formé dans le cadre d'une formation pédagogique de formateur) ; - des groupes d'échanges de pratiques entre internes, dans le cadre d'une formation pédagogique des internes; - des groupes d'échanges de pratiques des maîtres d'apprentissage, dans le cadre d'une formation pédagogique des enseignants. Étant dans le cadre d'une évaluation formative, l'évaluation est naturellement qualitative mais critériée pour que la « règle du jeu» soit plus claire pour tous. Les premiers critères que nous avons retenus (liste non exhaustive) sont: Qualité du récit. Un bon récit est subjectif (l'interne s'implique [emploie le « je »]) et objectif factuellement (il reflète le discours de l'autre ou des autres, relate correctement l'histoire et la trajectoire du patient et décrit bien l'action). Complexité de la situation. Les indices doivent être nombreux et sont à chercher dans tous les champs (bio médicaux, psycho-affectifs, sociaux, éthiques) ; c'est l' approche globale ou systémique, avec des stratégies de résolution de problèmes alternatives, des solutions plurielles prises en situation d'incertitude. Pertinence. La situation doit avoir du sens par rapport à celles rencontrées en soins primaires et illustrer une ou des fonctions du métier de généraliste et les compétences nécessaires à leur(s) réalisation(s). Résolution de(s) problème(s). Face à cette situation complexe, la résolution de( s) problème( s ) est-elle satisfaisante? Des alternatives ont-elles été envisagées? Le doute et l'incertitude sont-ils exprimés, analysés, pris en compte ? Qualité de l'auto-évaluation. C'est la pertinence de l'analyse, du questionnement induit, de la définition des objectifs d'auto-formation. Qualité de l'auto-formation. C'est la qualité des procédures mises en place (recherche documentaire, échange de pratique, personne ressource) et du résultat (niveau de preuve, transférabilité en médecine générale) des traces de ce travail. Ce travail est-il pertinent par rapport aux objectifs de formation pointés? Synthèse. Les connaissances antérieures ont -elles été enrichies par ce travail? La résolution de( s) problème( s) va-t-elle être améliorée par ce travail ? CONCLUSION
Ces RSCA peuvent être réalisés pendant les six
stages de la maquette du DES de médecine générale,
ce qui permet aux maîtres d'apprentissage de chaque stage
de les contextualiser c'est-à-dire d'apprécier que des
compétences spécifiques que l'interne peut
acquérir pendant ce stage ont bien été acquises.
Cela permet également aux tuteurs de juger, sur la durée
du DES, de l'évolution des acquisitions de compétences,
par l'intermédiaire du portfolio. Enfin, les RSCA font partie
des traces d'apprentissage colligées dans le portfolio de
l'interne e seront donc un des éléments de validation de
son DES. Les RSCA ont donc une double fonctionnalité
évaluative :
- outil d'évaluation formative: les RSCA sont un des outils mis en place pour permettre une évaluation formative de qualité des internes de médecine générale par les maîtres d'apprentissage, au cours de chaque stage de la maquette et sur l'ensemble du DES. - élément de certification: ces RSCA seront une des traces d'apprentissage contenues dans le portfolio de l'interne et participeront ainsi à la certification des internes de médecine générale en fin de DES. " Références 1. Perennoud P. Développer la pratique réflexive dans le métier d'enseignant. Paris: ESF, 2001. 2. Greenhalgh T, Hurwitz B. Narrative based medicine : dialogue an discourse in clinical practice. London: BMl books, 1998. 3. Pineau G. Produire sa vie. Auto-formation et autobiographie. Saint Martin, 1983. 4. Bail P, Le Reste lY, Boiteux F. Le Portfolio, expérience du Département de médecine générale de la Faculté de Brest. Rev Prat Med Ge 2004; 646: 445-7. 5. Hermil JL, Becret F, Olombel P, Thiberville J, SASPAS en SUMGA. Le programme ambitieux de la Haute Normandie. Rev Prat Med Ge 2004; 639: 119-20. 6. Renard V, Attali C. Le séminaire d'entrée de troisième cycle de méde cine générale à la Faculté de médecine de Créteil, Paris XII. Exercer 2003 ; 67: 27-30. 7. Tardif J, L'évaluation dans le paradigme constructiviste. In : Hivo R (ed.). I'évaluation des apprentissages. Sherbrooke éditions du C 1993: 27-56. 8. Wiggins GP. Assessing student performance. San Francisco 1993 ; Jossey-Bass éd. 9. Bangert -Drowns RL, Kulik CL, Kulik lA et Morgan MT. The instructionnaleffectoffeedbackintest-likeevents.Rev Educ Res 1991 ; 61 :213-38. 10. Laurier MD. Evaluation et communication: De l'évaluation formative à l'évaluation informative. Éd. Quebecor 2003 11. Crooks Tl. The impact of classroom evaluation practices on students. Rev Educ Res 1988; 58: 438-81. 12. Scallon G. L'impact des pratiques évaluatives sur la motivation des élèves: le pouls de la recherche. Monographie, Université Laval, Dépar tement de mesure et évaluation. Remerciements à: " Nicolas Farthouat qui a autorisé l'utilisation d'un de ses RSCA comme outil pédagogique. " Aux enseignants du Département de médecine générale de Nantes, participants du séminaire de réflexion et de production pédagogique qui a servi de base à ce travail: Jean-Louis Berton, Dominique Caillet, Christian Gilles, Lionel Goront/ot, Virginie Le Gac, Pierre Le Mauff, Patrick Le Vaillant, Rémy Mallet, Noëlle Raillard-Mauduit, Joseph Rousselot, Rémy Senand, Jean Louis Sugier, Jacqueline Urion. " au Pr Jean Jouquan et au Pr Philippe Bail pour le séminaire «être centré sur l'étudiant en formation clinique: aspects conceptuels et outils» DIU dePéda gogie médicale, Brest 2004. Article paru dans LA REVUE DU PRATICIEN - MEDECINE GENERALE. TOME 18. N° 654/655 DU 24 MAI 2004 |
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